- Serdaigle ? Mais comment peux-tu être à Serdaigle, c’est impossible ! Toute notre famille est toujours allée à Serpentard. Enfin, au moins tu n’es pas à Poufsouffle ou Gryffondor…
Ça, c’est la voix de Maman qui gronde Alekseï. C’est la première fois qu’il rentre depuis qu’il est parti à l’école, et même si je suis trop petite pour comprendre, je vois bien qu’elle est en colère, et je ne sais pas pourquoi. Une fois qu’elle est sortie de sa chambre, je me faufile sur la moquette et sors la tête de sous le lit.
- Ah, tu es là toi ?
- Pourquoi elle te gronde ?
- Parce que je ne fais pas ce qu’elle veut.
- Mais c’est vrai que c’est nul si on n’est pas à Serpentard ?
- Non.
- Tu as des nouveaux copains ?
Alekseï me fait sortir complètement de sous son lit et me fait asseoir. Il retire un mouton de poussière de mes boucles blondes et sourit. Il me raconte tout ce qu’il a fait et vu à l’école, me parle de ses amis, me montre ses devoirs et ses notes (toutes excellentes, ce qui, comme je l’apprends plus tard, est presqu’une coutume à Serdaigle). Il a les yeux qui brillent de plaisir et moi, je l’écoute avec admiration. Puis il me demande ce que j’ai fait pendant son absence. Je baisse les yeux, je n’ai rien d’intéressant à raconter. Je passe tellement inaperçue auprès de nos parents ou de tout autre être vivant que je me demande parfois si j’existe vraiment. Même Bazilien ne s’approche pas de moi en ce moment. C’est peut-être parce qu’il a des pouvoirs et moi pas ?
Soudain, la porte s’ouvre en claquant. L’ombre de Papa apparaît sur le sol. Il m’ordonne sèchement de sortir de la chambre, et je m’exécute rapidement. Je dois fermer la porte derrière moi. J’ai à peine fait quelques pas dans le couloir que déjà les bruits résonnent. Je m’assois dans un coin obscur, ferme les yeux et me bouche les oreilles avec mes mains.
***
Je tombe dans la boue qui éclabousse mes vêtements et mes cheveux. Mes mains me font mal, elles sont un peu écorchées. Et derrière moi, les rires des autres enfants qui se moquent.
- Bien fait pour toi, espèce de sale sorcière ! C’est ce qui arrive aux moches qui parlent même pas bien.
Ce n’est pas de ma faute si mon anglais est incorrect. Maman tient absolument à ce que nous parlions russe à la maison, elle dit que « c’est la langue la plus noble du monde », et moi, je ne veux pas contrarier Maman.
J’ai les larmes aux yeux, et je tourne la tête vers le garçon qui m’a poussée. Je le déteste, je veux qu’il meure. J’y pense tellement fort, je le souhaite tant qu’il finit par s’écrouler. Les autres enfants crient et s’enfuient. Alors je m’approche et secoue le corps. J’appelle, j’ai besoin d’aide. Je ne voulais pas que ça se passe comme ça, je voulais juste qu’ils arrêtent de m’embêter.
Pixy me fait rentrer dans la pièce de Maman. Elle m’a fait changer de vêtement et recoiffé. Je l’aime bien Pixy, c’est l’elfe de maison qui s’occupe de moi parce que Maman est trop occupée pour ça. Pixy dit que je ne dois pas m’inquiéter pour le garçon, qu’il s’en remettra. Elle prévient Maman de ma présence puis nous laisse seules. Maman s’approche de moi et me caresse les cheveux. C’est la première fois qu’elle fait ça, c’est un peu bizarre. J’espère que je serai comme elle quand je serai plus grande. Maman sent toujours bon, et elle est vraiment très belle. Elle me prend par la main et m’emmène à travers le manoir. Nous prenons la voiture, enfin, c’est le chauffeur qui conduit, et puis il y a Kupo qui vient avec nous. C’est l’elfe de Maman, celui qu’elle emmène quand elle va faire les magasins. Par contre, il ne monte pas dans la voiture avec nous, il est obligé d’aller dans le coffre. Ça ne doit pas être très confortable.
- Je lui avais bien dit qu’on ne pouvait pas avoir de Cracmol dans la famille. C’était simplement inconcevable… Ah, ma chérie, je suis fière de toi.
Je ne dis rien. Je n’ai pas l’habitude que Maman soit gentille, alors j’ai un peu peur de rêver. Tout l’après-midi, elle me traîne de boutique en boutique. Kupo doit porter des tonnes de sacs et je sais que c’est très dur pour lui. Dans ma tête, je me promets de ne jamais faire subir ce traitement à Pixy. Elle est trop gentille avec moi, c’est elle qui me lit une histoire tous les soirs et qui joue avec moi.
Pendant que Kupo rentre à la maison avec les affaires que Maman m’a acheté, nous partons rejoindre Papa au Ministère. Ses employés s’extasient sur le tableau que nous formons, et moi, j’ai envie de leur dire que ce n’est pas la réalité, mais je reste bien sage.
Le soir, nous mangeons dans le restaurant le plus cher de Londres. Papa et Maman ne cessent de sourire et de parler pendant que je mange en écoutant.
- Et en plus, c’est un petit Moldu qu’elle a envoyé à l’hôpital. Au moins un de ces cafards grouillants qui comprendra la leçon, s’il se réveille un jour. (ça, c’est Papa)
- Oh, nous avons reçu une lettre de Bazilien aussi. Il est à Serpentard. Aujourd’hui, nous n’aurons eu que des bonnes nouvelles.
Ils sont si heureux que ça me coupe l’appétit.
***
Je ne sais plus comment j’en suis arrivée là. Enfin, façon de parler.
Déjà, je ne suis pas allée à Serpentard. Ça a été la première déception des parents. Alors pour compenser, j’ai eu des notes excellentes, j’ai parlé aux gens auxquels il fallait parler et ignoré les autres. J’étais de nouveau invisible. Tant qu’Alekseï était à Poudlard aussi, les journées étaient supportables. Puis je me suis retrouvée seule.
Et l’an dernier, quand ces deux garçons, dont j’ignorais totalement le nom jusqu’à ce qu’ils se présentent, m’ont demandé de sortir avec eux, j’ai accepté. J’étais tellement formatée pour faire plaisir aux autres que je suis bêtement devenue la petite amie de deux parfaits inconnus en même temps. Bien sûr, ils ont fini par découvrir ce qui se tramait. Et c’est à ce moment-là que j’ai appris qu’ils étaient rivaux dans presque tout : Morten Nielsen et Daniel Carter. La scène à laquelle j’ai eu droit de leur part…
Mais rien en comparaison de ce qui m’attendait à la maison pendant les vacances d’été. Bazilien était allé cafter, en bon petit lèche-botte qu’il est. Maman a hurlé pendant ce qui m’a semblé des heures. Et puis il y a eu Papa. Il est entré dans ma chambre sans un bruit, et sur le coup, j’ai eu l’impression d’être retournée dans le passé, après la rentrée d’Alekseï. Alekseï qui n’habite plus au manoir. Depuis trois ans maintenant. Il est parti, et j’ai hâte de pouvoir en faire autant.
Papa m’a fait mettre à genoux. Derrière moi, je l’entendais qui retirait sa ceinture. Et les claquements ont commencé. Malgré la douleur, aucun son n’est sorti de ma bouche. Je faisais comme il m’avait appris, je restais digne.
Pixy a soigné mon dos après, quand il a été parti. Je ne bronchai même pas. C’est à ce moment que j’ai pris ma décision. Je ne voulais plus être ce pantin qu’ils avaient fait de moi. Comme Alekseï, je voulais suivre ma propre voie.
Je suis une personne, pas une marionnette.