Je crois qu'il est temps d'appeler du secours.

Parfois dans la vie, il faut savoir ravaler sa fierté et s'avouer vaincu. Fort heureusement, Dragonia n'était pas particulièrement fière et commençait à avoir l'habitude de se faire snober par ses devoirs de Potions. Elle avait pourtant essayé de jouer la Serdaigle parfaite, entourée de livres pendant des heures à la bibliothèque. Mais rien à faire. La potion de Ratatinage et ses applications pratiques garderaient tous leurs mystères face à la petite jeune fille.

Par contre ses feuilles de brouillon étaient couvertes de griffonages en tous genres. Elle avait l'habitude de laisser son crayon partir en vrille. Généralement, cela l'aidait à réfléchir. Mais aujourd'hui, elle était si peu inspirée que les gribouillis s'étaient transformés en réalisations beaucoup plus compliquées.

Deux heures qu'elle essayait de travailler, mais le vide total de motivation et de connaissances sur le sujet ne l'aidaient pas à se concentrer.

A-t-on précisé que les trois rouleaux de parchemin étaient à rendre le lendemain? Pardonnez donc cet oubli.

Le stress montait, Dragonia tournait fébrilement les pages de ses livres sans savoir par où commencer... Si seulement elle avait un peu plus écouté en cours, aussi! Slughorn avec son immense moustache en faisait un modèle parfait pour tous les exercices de caricatures. Donc bah, forcément, quand il n'y avait pas d'exercices pratiques, Dragy s'en donnait à coeur joie. Comme au cours précédent. Discrète et silencieuse, tandis que les autres prenaient des notes qui les avaient sans doute beaucoup aidé pour la rédaction de leurs devoirs à eux, elle s'était essayé à plusieurs exercices de stylisation de son professeur de Potions.

Dragonia poussa un long soupir et se dressa de toute sa petite taille à la recherche d'une âme charitable et douée en Potions qui voudrait bien l'aider un peu. Histoire qu'elle ne récolte pas un énième Piètre dans cette matière.

Maëdy était réveillée. Maëdy était motivée. Maëdy était en pleine forme. Maëdy souriait. Tout allait bien pour Maëdy. Elle avait eu d’excellentes notes à ses derniers devoirs, et n’avait provoqué aucune catastrophe en cours. Elle ne s’était pas perdue dans les couloirs et n’avait pas dévalé les escaliers sur les fesses. La journée se déroulait à la perfection. Elle avait croisé Dan, aussi. Très brièvement, certes, mais elle l’avait vu. Et cela lui suffisait…

C’était donc d’un pas enjoué – elle sautillait presque – que la Serdaigle se rendit à la bibliothèque, pour commencer à rédiger quelques rouleaux de parchemins pour son prochain cours de Défense Contre les Forces du Mal. Le devoir n’était à rendre que la semaine suivante, mais elle avait décidé de prendre de l’avance. Elle était motivée, après tout.

Maëdy parcourut les rayons de la bibliothèque très vite, prenant des livres semblant avoir comme principal sujet celui de son devoir, mais elle ne prit pas le temps d’aller les poser sur une table afin de se libérer les bras, si bien que la jeune fille se retrouva très vite avec une pile la dépassant d’un ou deux bouquins dans les mains. Lorsqu’elle se rendit compte de son erreur, elle tenta de rebrousser chemin et d’aller s’installer à la prochaine table qu’elle rencontrerait. Mais son champ de vision étant forcément réduit, elle ne vit que trop tard ce morceau de parchemin abandonné au milieu de sa route, et son pied ripa inévitablement dessus.

« Oh non… Non, ne tombe pas Maë, tu vas assommer des gens… No-Aaaaaah ! »

Trop tard. Maëdy était étendue sur le sol, tous ses livres éparpillés autour d’elle. Elle se redressa et se massa un instant le crâne, le temps de reprendre ses esprits. Il fallait qu’elle ramasse tout au plus vite, sinon Madame Pince allait lui faire passer un très mauvais quart d’heure.

« Vite, vite… espèce d'irrécupérable boulette… »

N’ayant ni l’envie ni la mauvaise idée de reconstruire sa tour de Pise, elle posa les livres les uns après les autres à toute vitesse sur la première table à portée de main. Elle ne vit pas immédiatement qu’une jeune fille de sa maison (mais pas de son année, puisqu’elle ne connaissait pas son nom) y était déjà installée…

Dragonia suivait depuis un petit moment les démabulations de la pile de livres humaine, sans vraiment la voir, ses neurones se battant presque dans son crâne pour trouver des idées de pistes à suivre dans l'écriture de son devoir. Elle rongeait inconsciemment ses ongles, commençant à se dire que le meilleur moyen d'éviter de rendre son devoir était de prétendre être malade.

Et pis, la tour de Pise s'effondra, et la demoiselle qui était cachée derrière aussi. Dragonia poussa un petit cri de surprise, tirée soudainement de sa rêverie, et se précipita sur la demoiselle pour l'aider à ramasser ses livres.

"Ca va? Tu ne t'es pas fait mal au moins?"

Oublié, son devoir et les conséquences. Les joues rosies, la quatrième année ramassa fébrilement tous les livres qui étaient à sa portée, ses épaisses boucles brunes virevoltant autour de son visage.

Elle avait déjà vu la jeune fille qu'elle aidait, c'était une cinquième année à qui elle n'avait jamais parlé mais qu'elle avait déjà croquée plusieurs fois, roulée en boule dans un coin de la salle commune en observant ses camarades. Elle traînait souvent avec deux autres filles, et elle avait d'incroyables yeux bleus qui laissaient une pointe de lumière dans les portraits que Dragonia avait faits d'elle.

A force de dessiner tout Poudlard, la jeune Serdaigle finissait par connaître tout le monde, à deviner leurs caractères d'après leurs mimiques ou leurs gestes. Aussi avait-elle l'impression d'être en face d'une amie alors que les deux jeunes filles ne s'étaient jamais adressé la parole.

"Je vois que toi aussi, tu es un peu dépassée par tes devoirs..." plaisanta Dragonia, un sourire creusant son visage rond de deux fossettes.

Dans sa hâte pour ramasser tous ces livres plus ou moins épais, Maëdy n’avait pas tout de suite remarqué que celle qui occupait la table qu’elle-même semblait s’accaparer lui était venu en aide. La jeune fille lui posa l’éternelle question qu’on posait sans arrêt à la Serdaigle lorsqu’elle faisait preuve de boulettite-aiguë, maladie dont elle était jusqu’à présent la seule victime – heureusement pour le reste de la communauté, d’ailleurs ; à savoir le « est-ce que tout va bien ? ». Oui, Maëdy allait bien, elle allait toujours bien, étant donné qu’elle avait toujours le sourire aux lèvres. Pourquoi tant de personnes étaient persuadées que quelque chose d’horriblement dramatique sa cachait derrière ça ?

*Détends-toi…*

Oui, il fallait qu’elle se reprenne, elle ne devait pas paraitre aussi impolie face à une élève qui cherchait simplement à l’aider.

« Pas de mal de mon côté, merci. » lâcha donc la Serdy du ton le plus doux et amical possible en se relevant, trois bouquins dans les bras.

Quelques instants plus tard, toutes les œuvres qu’elle avait récoltées se trouvaient éparpillées sur la table, recouvrant certainement ce sur quoi l’inconnue travaillait. Pris d’un soudain sentiment de gêne, elle les rassembla très vite en d’autres piles – beaucoup moins hautes cependant, afin d’éviter toute autre catastrophe comme la chute de la tour de Pise – pour pouvoir libérer les quelques morceaux de parchemins et livre ouvert déjà présents. Il n’y avait vraiment qu’elle pour commettre ce genre de choses…

Esquissant un sourire et poussant un soupir de lassitude, Maëdy se tourna enfin vers l’autre jeune fille et lui sourit.

« Voila qui est fait. »

Se passant une main dans les cheveux, elle laissa s’écouler quelques instants pour que son rythme respiratoire puisse retrouver sa vitesse normale et ses joues devenir moins rouges. Puis leurs regards se croisèrent de nouveau, et l’élève reprit la parole, le visage creusé par d’adorables fossettes. Laissant échapper un petit rire suite à sa remarque, Maëdy lui répondit sur le même ton :

« C’est le moins qu’on puisse dire… A vrai dire, je dois être à peu près la seule personne ici à être capable d’imaginer pouvoir porter tant de livres d’un coup, en sachant surtout que le taux de catastrophes augmente incroyablement lorsque je suis dans les parages. Mais je m’y prends à l’avance pour ce devoir-ci, je ne dois le rendre que la semaine prochaine… »

Et voilà, elle s’était lancée dans une nouvelle vague de mots qu’elle ne pouvait contrôler. Mais à quoi bon chercher à les arrêter ? L’adolescente était comme ça : bavarde et joyeuse. Elle aurait pu être dépressive. Elle aurait pu être complètement asociale. Ou elle aurait pu au contraire être prétentieuse et arrogante… Mais non. Juste bavarde, souriante et parfois adorable. Elle n’était donc pas à plaindre non plus.

Maëdy reporta ensuite son intention sur celle qui se tenait devant elle. Son visage lui disait quelque chose, mais pourtant, impossible de se souvenir de son nom. Elle n’était pas en cinquième année, c’était sûr, et à vue d’œil, elle pourrait difficilement se trouver en septième. Cependant, il n’était pas impossible qu’elle soit de Serdaigle, tout comme Maë… Elle n’avait qu’à demander après tout ! Mais à peine eût-elle ouvert la bouche qu’elle la referma aussitôt, jetant un regard suspect derrière elle. Madame Pince rôdait, tout près, elle traquait… La chasseuse suivait sa proie en silence, prête à bondir à chaque instant…

Alors Maëdy saisit le poignet de sa camarade et les fit toutes deux s’asseoir à la table envahie par les livres portant sur la Défense Contre les Forces du Mal, se pencha un peu plus vers son interlocutrice et reprit, un peu plus bas :

« Il vaut mieux qu’on parle plus doucement, si on veut éviter l’ennemi… »

Elle accompagna ses paroles d’un geste de la tête très significatif en direction d’un des rayons de la bibliothèque.

« Bon, reprenons. Je t’ai déjà vu quelque part, mais je ne vois plus du tout où… Rappelle-moi ton nom ? Moi c’est Maëdy, cinquième année chez les Serdaigle. »

Le tout évidemment enveloppé d’un charmant sourire, celui qu’elle affichait lorsqu’elle voulait se montrer tout simplement amicale, sympathique.

Dragonia aida promptement sa camarade tant et si bien que très vite les livres furent sauvés et relativement proprement remis sur la table. Son interlocutrice avait l'air d'être quelqu'un de relativement ouvert et agréable à vivre. Ce qui devenait rare à Poudlard ; l'atmosphère dans le monde magique avait tendance à développer des comportements intolérants, désagréables et méprisants dans l'enceinte du château. Dragy sentit un petit poids quitter sa poitrine en découvrant que d'autres personnes ne se laissaient pas aller à la peur.

Ayant passé un bon moment à dessiner au lieu de travailler, Dragonia était encore en mode dessinatrice et ne cessait de scruter le visage de la cinquième année, ses gestes, son regard. C'était plus fort qu'elle. Jusqu'ici les rares fois où elle avait dessiné sa camarade, ç'avait été de loin, discrètement, grossièrement. D'ici elle pouvait voir les fossettes creusées dans ses joues, la lumière dans ses yeux ou la plantation de ses cheveux. Tant de détails insignifiants mais qui lui parlaient plus que n'importe quelle description orale.

Dragonia sortit de sa rêverie quand la jeune fille lui attrapa le bras pour l'asseoir à la table. Suivant ses yeux clairs, Dragonia vit Madame Pince qui les observait d'un air sévère, et elle remercia d'un sourire la demoiselle d'avoir suffisamment de prévenance pour ne pas les mettre toutes les deux dans l'embarras.

L'écoutant d'une oreille et la détaillant du regard, Dragonia fut totalement ramenée à la réalité quand la jeune fille reprit la parole. Maëdy Seewol. Quel joli nom! Doux, coquin, qui glissait dans la bouche comme un bonbon sucré. Dragonia finissait par apprécier cette fille sans rien savoir d'elle.

Le sang afflua soudain aux joues de Dragonia qui se vit adressée une question. Elle avait beaucoup plus l'habitude d'écouter que de parler, aussi balbutia-t-elle quelques syllabes inintelligibles avant de répondre.

"Oui, je te connais. Enfin un peu. Je suis à Serdaigle aussi, en quatrième année... Je m'appelle Dragonia. Mais tu peux m'appeler Dragy", ajouta-t-elle avec un petit sourire d'excuse, comme pour dire que ce n'était pas sa faute si elle portait un prénom qui lui allait si mal. "Et j'ai tendance moi aussi à déclencher de mini-cataclysmes, ravie de découvrir que je ne suis pas la seule à ne pas avoir l'habileté sans failles d'un Roderick Plumpton!"

Elle sourit à Maëdy - rah vraiment quel joli prénom !- et baissa les yeux sur ses feuilles de parchemin. Son sourire devint plus vague et elle poussa un petit soupir. Et puis elle releva soudainement les yeux et fixa Maëdy. Peut-être que Merlin lui jouait un joli tour en la mettant sur son chemin.

"Dis, tu tombes bien, par hasard... Tu ne t'y connais pas en Potion de Ratatinage?"

Se mordant la lèvre inférieure, Dragonia tentait le tout pour le tout. Cependant elle se sentit obligée de se justifier davantage.

"Je suis complètement nulle, je dois rendre un devoir demain matin et je suis pire que perdue... Alors je me disais que peut-être tu pourrais m'aider? Je t'offrirai une Bièraubeurre!"

Avec un petit sourire plein d'excuses, car Dragy n'aimait pas déranger les gens, elle attendit la réponse de Maëdy en tortillant nerveusement ses doigts sous la table.

Sujet: Re: Je crois qu'il est temps d'appeler du secours.